LEWIS Carroll a écrit :
 "Alice au pays des... " 
 A : " rêves ", 
 B : " magiciens ", 
 C : " merveilles ",
 D : " Candies ". 
 Dans une chanson de Barbara, il
 pleut sur : 
 A : " Nantes ",
 B : " Nice ", 
 C : " Nancy ",
 D : " Niort ". 
 Ces questions, et quelques autres à choix tout aussi
 multiple, ont tenu la France entière en
 haleine le soir du 31 juillet 2000. Pour ceux qui,
 sentant le danger, avaient fui aux Galapagos
 ou dans les quelques vallées cévenoles encore hors 
 de portée des émetteurs de TDF il sera
 dûment précisé ici qu'elles étaient posées au premier
 participant de l'édition spéciale du jeu « Qui veut
 gagner des millions ? »,
 importé d' Angleterre par TF1 et présenté par Jean-
 Pierre Foucault. Eric, chauffagiste dans l'Aisne, heureux
 mari de Marilyn, père comblé de Loïc, Guillaume,
 Corentin et Camille, a eu tout bon à la première, qui
 valait 1 000 francs. Le public l'a aidé pour Barbara, qui
 n'était pas de son âge, et qui était déjà à 40 000 francs. 
 Le cheveu court, le regard franc, l'air sportif, Eric
 paraissait assez bien parti lorsqu'il a trébuché sur le jeu 
 qui avait les faveurs de la cour de Henri lII : bilboquet,
 whist, petits chevaux, sardine ? Que répondre à celle-là ?
 Eric a appelé sa mère à la rescousse et au
 téléphone. Celle-ci, prénommé Lucie, avait
 "bilboquet" en tête, mais elle invitait son
 fils à "se rassurer autrement". Comment
 l'aurait-il fait, le malheureux ? Eric a fait
 confiance à sa mère, comme le veut une
 publicité célèbre où les rôles sont inversés
 (c'est maman qui sait tout sur lnternet et
 renseigne son grand dadais de fils). Maman
 avait raison. C'était bilboquet.
 C'est alors qu'est survenu le maudit cap.
 Découvert en 1488, il s'est d'abord appelé
 cap des Tempêtes. S'agissait-il du cap Horn,
 du cap Vert, de Cap Canaveral ou du cap de
 Bonne-Espérance ? Maman n'était plus dis-
 ponible, le public non plus. Marilyn rougis-
 sait d'angoisse dans sa robe bleue. Eric a
 préféré en rester là. "C'est votre dernier mot,
 Eric ?", " C'est mon dernier mot, jean-
 Pierre !". Marilyn a laissé couler une larme
 de fierté. Eric avait gagné 150 000 francs. On
 ignore toujours son nom de famille. C'est la
 règle, peut-être pour protéger le gagnant
 des tapeurs et des aigrefins. Eric restera
 donc "Eric de l'Aisne", comme un titre
 départemental de noblesse, une particule
 nobiliaire cathodique. Il continuera à vivre
heureux et caché dans ce département du
 Nord, voisin de la Belgique. Fera-t-il le tour
 du monde, comme il en avait l'intention ?
 TF1 avait flairé la bonne affaire et a eu
 raison. Huit millions et demi de téléspecta-
 teurs ont regardé lundi dernier « Qui veut
 gagner des millions ? ». Le principe est
 simple, les lots  énormes (théoriquement jusqu'à 
 3 millions de francs), sont financés par les 
 téléspectateurs eux-mêmes. Ceux-ci sont invités, 
 dans les jours précédant l'émission, à composer
 un numéro de téléphone spécial mis en place par
 TF1. Ils doivent répondre à des questions enregistrées.
 Il leur en coûte 3,28 francs la minute. La moitié de 
 cette somme environ revient à TF1. Il y a eu entre 
 30 000 et 90 000 appels quotidiens en juillet.
 Faites vos comptes... Une fois franchie cette
 première sélection, la course d'obstacles continue.
 Il ne reste que dix finalistes, qui sont poncés, chapitrés,
 relookés, puis enfermés dans un studio spécial du
 nord de Paris. L'émission est
 enregistrée discrètement,  voire secrètement, trois
 jours avant la diffusion. Celle du 31 juillet l'avait
 donc été le 28, et elle était proposée pour la
 première fois en soirée.
 Après "Eric de l'Aisne ", ce fut donc
 "Didier de Seine-et-Marne ", " responsable
 logistique " (c'est quoi ?), soutenu par une
 amie, la brune Catherine. Sa compagne,
 Anne-Marie, était restée à la maison avec
 leur fille Julia. Dans l'univers des Pokémon,
 quelle est l'évolution de Salamèche ? C'est
 Reptincel, bien sûr, et non pas l'improbable
 Soporifik. Heureusement que Sabrina, dix-
 huit ans, nièce de Didier (vous suivez tou-
 jours, aux Galapagos et dans les
 Cévennes ?) avait la solution. Jean-Pierre
 Foucault a conjecturé que Sabrina avait
 auprès d'elle un « conseiller technique » de
 sept ans et demi pour lui souffler la
 réponse. Didier aura 300 000 F pour aller en
 février, s'il le souhaite, au carnaval de Bahia.
 La place manque pour évoquer "Patrice
 de Gironde ", étudiant en droit, qui a empo-
 ché 500 000 francs. Fera-t-il de la compéti-
 tion moto ? Tout cela est un peu infantile,
 certes. Mais l'auteur de ces lignes doit
 avouer que, après avoir beaucoup ricané en
 entendant les premières questions, il était
 debout, devant son poste, à hurler les
 réponses en fin de parcours. Il se sentait un
 brin idiot, mais content. Le public, appa-
 remment, aussi. TF1 récidivera à la rentrée.
 
 

 Le Monde Télévision Dimanche 6-Lundi 7 août 2000